Opticien Balaruc-le-Vieux Cc Carrefour - Krys
Marion V
Médaillé aux JO de Paris 2024, Yohann Ndoye-Brouard a su s’imposer dans le monde de la natation malgré un défi de taille : il est atteint d’un kératocône, une maladie dégénérative de la cornée entraînant une vision floue et une grande sensibilité à la lumière. Dans cette interview spéciale pour Le Guide de la Vue, il nous raconte comment il a réussi à concilier les contraintes liées à sa maladie avec les exigences de la compétition.
J’ai 23 ans et je fais de la natation depuis que j’ai 2 ans. En 2022, j’ai été médaillé en tant que champion d’Europe sur 200 mètres, et lors des Jeux Olympiques de Paris 2024, j’ai obtenu la médaille de Bronze en relais 4x100m 4 nages. Dans mon quotidien, je souffre d’un kératocône, c’est-à-dire que ma cornée se déforme. Elle perd sa forme normalement ronde, comme un ballon de foot, pour prendre la forme d’un ballon de rugby.
Je porte des lunettes depuis 2014 pour corriger une myopie. À l’époque, ma vue ne cessait de se détériorer malgré des tests réguliers chez des opticiens et des ophtalmologues, au point que je devais changer de lunettes tous les 6 mois. Puis l’ophtalmologue que je consultais à Annecy m’a orienté vers un professeur de l’Hôpital Fondation Rothschild, car je m'entrainais à ce moment-là à Paris, à l’INSEP (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance). C’est ce spécialiste qui a vu que ma cornée était déformée et qui m’a diagnostiqué un kératocône, en 2020. Malgré ce diagnostic, aucune solution immédiate n’a pu être trouvée.
Mon kératocône est lié à mes allergies aux graminées et aux acariens. Quand j’étais plus jeune, mes allergies me poussaient à me frotter les yeux excessivement, au point que c’est presque devenu un trouble obsessionnel compulsif. A force, ma cornée s’est déformée.
Pendant les compétitions, ma vue me faisait défaut et en 2021, j’ai participé aux Jeux Olympiques de Tokyo avec une mauvaise vision. Lors des demi-finales du 100 mètres dos, j’ai été ébloui par les projecteurs et je n’ai pas vu les drapeaux qui servent de point de repère quand on approche du mur. J’ai raté mon virage et heurté le mur. Cette expérience a été un véritable déclencheur pour moi. C’est après ces Jeux Olympiques que j’ai décidé de me faire opérer.
Yohann Ndoye-Brouard, Français médaillé de Bronze en relais 4x100 mètres 4 nages, aux Jeux Olympiques de Paris 2024 ©DR
J’ai subi une intervention de cross-linking cornéen, un traitement au laser qui vise à rigidifier la cornée. Cette opération permet de freiner l’évolution de la maladie en renforçant la cornée, mais elle ne soigne pas le kératocône. Une autre intervention serait nécessaire pour tenter de redonner une forme plus régulière à ma cornée. Pour cela, je dois attendre d’arrêter la compétition. Le problème, c’est que je pratique un sport de haut niveau dans un milieu où il y a beaucoup de bactéries. Si je veux traiter le kératocône, il me faudrait éviter les bassins pendant une longue période, et ce n’est pas envisageable dans ma carrière.
Sans mes lunettes, ma vision est limitée à 4/10. Les lunettes permettent de corriger le problème mais pas totalement, notamment en ce qui concerne les problèmes de mise au point et d’éblouissement. Comme je suis ébloui par les spots lumineux, j’ai adapté mes verres et porte désormais des lunettes polarisantes. J’ai également fait de la rééducation visuelle pour que mes yeux focalisent correctement. Mais la nuit, notamment quand je conduis, je reste ébloui par les phares, un peu comme les myopes qui perçoivent des halos de lumière.
Après les Jeux Olympiques de Tokyo, en 2021, j’ai collaboré avec Essilor et Arena pour concevoir une paire de lunettes de natation adaptée à ma vision. A ce moment, de telles lunettes correctrices n’existaient pas. Les seuls modèles qu’on pouvait trouver n’étaient pas hydrodynamiques. Il a fallu intégrer des verres correcteurs dans les lunettes de piscine que j’utilisais. C’était un défi, car les lunettes de natation ont une petite surface et sont en contact permanent avec l’eau. Mais aujourd’hui, grâce à ces nouvelles lunettes adaptées à la compétition, je vois plus net et mes performances se sont améliorées. Quand je les porte, j’ai 100 % de ma force dans les deux bras, mais sans elles, j’ai un déficit de force et tombe à 75 % de force dans mon bras gauche.
©DR
Même si ma vision n’est pas totalement parfaite, mes nouvelles lunettes de natation m’ont permis de reprendre confiance en mes capacités. Aux Jeux Olympiques de Tokyo, j’avais commis l’erreur de taper le mur, une faute qui ne m’était jamais arrivée.
Au départ, il y a eu beaucoup d’incompréhension. Mon entraîneur ne comprenait pas ce qu’il s’était passé. J’ai aussi dû faire face aux moqueries sur les réseaux sociaux. Et à la suite de cet incident, inconsciemment, je me retenais et nageais moins vite par peur de refaire la même erreur. J’ai dû faire un important travail sur moi-même pour retrouver confiance, et j’ai consulté un psychologue pour m’aider dans cette démarche. Le soutien de mes coachs et de ma famille m’a aussi aidé à surmonter cette épreuve.
Mon expérience m’a appris qu’il est essentiel de consulter des professionnels de santé dès les premiers signes de trouble visuel. Ce n’est pas un problème que l’on peut résoudre seul, et il est crucial de s’entourer des bons spécialistes pour avancer.
Propos recueillis par Sophie Vo.
Toute l'équipe Guide-Vue vous remercie pour votre gentillesse Yohann et toutes nos félicitations !
Yohann Ndoye-Brouard ©DR
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 10 millions de personnes dans le monde souffrent d’une perte de la transparence cornéenne, et par conséquent d’un défaut de vision.
Marion V
Elisabeth G
Anne-Laure P
Aurélie C